Paris XII . Logements sociaux
SITE
Implantées entre deux immeubles au début du 20éme siècle (1901 et 1916), deux petites maisons sont actuellement en lieu et place du futur projet, vestiges des faubourgs ?
Un café au pied, « les jardins de Reuilly » nous rappelle qu’autrefois c’était la campagne, …
Fichées entre ces 2 immeubles, ces 2 bâtisses laissent transparaitre l’envers du décor de ces ilots haussmanniens. La densité des cours arrières, résultante des alignements voulue par Haussmann et ses successeurs qui nous cachent bien des surprises derrière ces façades si parfaites : parcelles aux géométries insolites et souvent subies, l’intérieur de l’ilot devenant une conséquence.
Ces deux petites maisons, anachroniques par leurs échelles par rapport au tissu environnant, ont laissé par leurs persistances cette brèche ouverte, une irrévérence à la logique et à la pensée du 19 siècle, où façades ordonnancées et espace public participent, de manières concomitantes dans un rapport direct entre plein et vide, à l’expression d’un boulevard parisien de cette époque.
Personne au début du siècle n’a osé combler la brèche, personne n’a osé « se frotter » à cette forme en triangle que génère cette parcelle ? L’immeuble mitoyen en témoigne par ses pierres non taillées laissées en attente d’une construction voisine à venir…
Aujourd’hui, avec l’implantation du tramway, le boulevard a été redéfini et son espace public rénové. Néanmoins on peut dire que le dessin de ce boulevard et les éléments qui le composent étaient déjà bien présents. Entre HBM ou immeubles post haussmannien, on voit là, la constitution de l’espace public tel que pensé par Haussmann : c’est à dire que l’architecture est soumise « à un ordre urbain qui la dépasse. Les façades haussmanniennes sont, de ce point de vue, les façades d’un espace public avant d’être celles de bâtiments pris individuellement. » (Eric Lapierre, identification d’une ville, P53).
Même s’il s’agit d’immeubles construits au cours du 20 siècle, avec d’autres logiques que celles des immeubles haussmanniens, on voit bien qu’ils en gardent les stigmates avec la volonté d’ordonnancement homogènes des façades le long du boulevard.
Plus précisément, Les immeubles qui encadrent notre parcelle, et qui ont été construits au début du siècle, qu’on peut appeler période post haussmannien, où la rigueur et l’homogénéité antérieures sont remplacées par des interprétations plus personnelles : corniches, encorbellements, pilastres, sculptures, avancées, apparition des Bow Windows, balcons, …, sont assemblés dans un rythme et un ordre savant. Même, si l’on peut trouver ses bâtiments trop chargés, voir un peu trop bavards. On ne peut en revanche, qu’être frappé par la qualité des connaissances et des savoirs faire mis en œuvre dans leurs constructions : emploi de matériaux nobles, taille de la pierre pour former linteau, sculpture…, ferronneries, calepinage des briques,…, autant d’attentions aujourd’hui disparues dans la fabrication des bâtiments, qui posent la question de comment construire entre ces 2 immeubles.
Notre projet s’inscrit ainsi dans une réflexion contextuelle à plusieurs échelles :
A l’échelle urbaine :
– Par un questionnement sur l’intériorité de l’ilot : adaptation à une géométrie complexe de la parcelle, au respect des cours et des fenêtres des immeubles mitoyens,
– Par un questionnement sur la continuité urbaine : en rapport avec la définition d’un espace public tel que le boulevard Poniatowski.
A l’échelle architecturale :
– Par un questionnement sur la façade en corrélation avec les façades voisines,
– Par un questionnement sur la qualité des logements: quelle qualité donner à ces logements en relation avec leurs environnements ?
PARTIS URBAIN ET ARCHITECTURAL
RESPIRATION
Devant la complexité de cette parcelle en triangle, du respect des vues des voisins donnant sur notre parcelle, et aussi de notre volonté de ne pas refermer la cour de l’immeuble au n°107 : notre projet propose la création d’une « faille » et d’une « cour » permettant de régler l’ensemble de ces problématiques.
La faille
C’est un vide qui s’installe entre l’immeuble voisin (n°107) et le projet permettant de conserver lumière, vues et une bonne ventilation de la cour arrière du n°107. Cette disposition permet aussi de dégager l’angle obtus de notre parcelle difficilement aménageable pour les logements.
Ainsi, l’entrée de l’immeuble devient évidente et offre un espace généreux et valorisant. Par un retournement de la façade sur l’intérieur de la parcelle, cette faille offre une respiration. Réponse, selon nous, absolument nécessaire à la qualité de vie des habitants et à la densité bâtie en intérieur d’ilot.
La cour
La cour conserve et respecte les fenêtres des voisins donnant sur notre parcelle, nous proposons la création d’un seul et unique espace, tournant autour du noyau de circulation, qui permet d’éviter l’enfermement et les jours de souffrance. Ainsi la cour proposée s’ouvre sur l’arrière de l’ilot, accommodant des vues dégagées et une bonne ventilation aussi bien pour le projet que pour les voisins. Nouvelle respiration nécessaire à la qualité intérieure de cet ilot.
Le projet tire parti de ces contraintes pour en faire des qualités, ainsi l’ensemble des logements sont traversants : l’ensemble des pièces et des parties communes sont éclairées et ventilées naturellement. La faille permet de définir une entrée généreuse jouant de la profondeur de la parcelle, et d’offrir aux salons avec une vue de qualité vers la porte dorée et le bois de Vincennes.
Si une des problématiques de notre époque est de repenser comment « Faire la ville sur la ville », ce projet en propose une réponse : ces respirations offrent une nouvelle lecture et une résolution urbaine se basant sur une analyse de la profondeur des ilots, le derrière n’étant plus la résultante du devant mais la mise en place d’une succession d’espaces traitant les différents rapports de l’extérieur vers l’intérieur de l’ilot et inversement.
CONTINUITE URBAINE
Le boulevard Poniatowski s’implante en lieu et place de l’ancienne enceinte de Thiers, une des raisons qui ont permis la création d’une voie de cette échelle.
La qualité du boulevard Poniatowski tient dans sa clarté : alignement du bâti, trottoir large arboré en relation avec des Rez-de-chaussée commerciaux permettant un rapport direct entre espace public et privé, entre plein et vide. Une continuité urbaine émanant des préceptes d’un urbanisme classique largement repris par Haussmann qui ont fait et font encore la qualité d’une ville comme Paris.
Concernant notre ilot et notamment la composition des immeubles voisins, on observe un système de composition basé :
– sur un rythme horizontal d’ouverture, où une grande fenêtre alterne avec deux petites,
– et sur un ordre de la façade divisé en trois parties, avec un soubassement composé du Rez-de-chaussée et de l’entresol, le corps principal composé en général du R+2 à R+5 et de l’attique composé des derniers niveaux R+6, ou R+7.
Même, si ils sont différents les uns des autres dans leur traitement architectural (matière, ornements, …) , ce système de composition permet de donner une échelle et une animation au boulevard claires et homogènes.
Le projet s’inscrit dans cette démarche de continuité urbaine par la reprise des rythmes des ouvertures et de composition en 3 ordres par une déformation volumétrique:
-Ainsi, le corps principal se décolle du soubassement par une subtile inflexion venant en débord sur le boulevard et permettant des vues dégagées en proue du bâtiment, annonçant la faille et l’entrée. L’attique, traité en retrait et plus sombre, en corrélation avec les toitures en zinc environnantes, s’exprime par un plan utilisant la géométrie en triangle pour en effacer la profondeur par effet de perspective.
– les ouvertures sont implantées en respectant le rythme des fenêtres des immeubles voisins et en corrélation avec les typologies intérieures des logements. Nous proposons des fenêtres verticales et rectangulaires permettant aussi bien de voir la rue que le ciel. Elles sont agrémentées de volets permettant protection solaire et intimité. Ces volets sont des éléments expressifs en inox gravés d’un motif végétal offrant une interaction particulière entre extérieur et intérieur.
L’écriture architecturale de ce projet est différente des immeubles voisins mais s’inscrit dans une échelle commune à ce boulevard. Elle participe à la formalisation de cet espace public dans une démarche cherchant contextualité et urbanité, persuadé que l’approche de l’esprit d’un lieu ne peut exister que dans la justesse du rapport de la plus petite partie à l’ensemble.
MATIERE OU ORNEMENT ?
Les immeubles voisins ont une forte personnalité. Ils témoignent de l’éclectisme de cette époque encore très empreinte du 19 siècle. Sculptures et ornements viennent animer ces façades. Bien que l’on puisse se poser la question du sens de tous ces ornements, il n’en reste pas moins une qualité dans la vibration de ces façades, jeux d’ombre et de lumière, qui leurs donnent une particularité en relation avec une situation et une histoire, qui caractérise ce paysage urbain.
Aussi, notre démarche ne se situe pas dans une critique de l’ornement comme Adolf Loos a pu la présenter dans son ouvrage, « crime et ornement » : où il considère l’ornement comme un « artifice complet », mais plutôt dans une poétique de la situation. Notre regard est volontairement innocent, à l’image d’un enfant qui s’arrête devant une tête de lion sculptée sur le porche d’un immeuble. Pourquoi une tête lion ? Peu importe, ce que nous aimons ici c’est l’attention particulière, la multiplication des sensations, le brouillage des pistes, afin d’offrir une architecture aux multiples échelles de lecture, gardant toujours une part de mystère. Rien n’est plus frustrant que d’avoir tout compris du premier regard…
Le projet joue sur l’ambiguïté entre matière et ornement, en travaillant avec un béton matricé sur l’ensemble de la façade. Par un travail de superposition et de multiplication des dessins des façades des immeubles voisins, la façade trouve un nouvel ornement dans sa matière même, où une multitude de lectures sont possibles : de loin on ne sent qu’une vibration, de prés on commence à reconnaitre certains motifs, puis en se déplaçant, ils disparaissent pour redevenir une matière vibrante.
Par celle-ci, le bâtiment tisse des liens subtils, parfois mystérieux avec ses voisins, en évitant les travers du « pastiche » ou du « façadisme ». Cette réévaluation positive de l’ornement crée le terrain fertile d’une revalorisation culturelle du minutieux, du marginal, de leurs esthétiques et d’une poésie qui s’en dégage.
HABITER
En proposant des respirations au cœur de sa parcelle, le projet permet la mise en place de situations capable d’offrir un caractère particulier aussi bien dans les accès aux logements, qu’à l’intérieur même des appartements. Toujours dans une démarche urbaine, le projet propose un parcours et des rapports opportunistes et évidents entre la ville et chez soi et inversement.
L’entrée, implantée naturellement dans la faille, propose un sas extérieur couvert en double hauteur qui abrite les boites aux lettres et le parc à vélos. Travaillée avec une céramique de couleur imprimée de motifs légers : espace généreux et qualitatif, en transition entre l’espace public et les espaces communs de l’immeuble, il conduit aux circulations verticales intérieures toujours éclairées naturellement.
Les logements prennent place du R+1 au R+9 avec une répartition claire : un T3 en R+1, un T1 et un T2 par étage du R+2 au R+4, un T4 par étage du R+5 au R+8 et enfin un T3 au R+9.
Ils sont traversant avec toujours une double orientation sur rue et sur cour ou faille, caractéristique fondamentale dans la qualité d’un logement : aussi l’ensemble des logements peut profiter du soleil côté rue comme de la fraicheur de la faille ou de la cour.
Les espaces jours, nuits et humides sont implantés de manière stratégique en fonction des besoins de chacun. Ainsi, cuisine, sanitaire, salle de bains donnent sur la cour ou sur la faille offrant lumière, ventilation et intimité ; les chambres, côté rue, profitent du soleil et des vues dégagées du boulevard ; les salons quant à eux bénéficient de la proue du bâtiment, situation en angle, dégageant des perspectives uniques vers la Porte Dorée, le bois de Vincennes et son mythique rocher aux singes.
Les ouvertures et les vues sont travaillées en fonction de leur orientation et des usages intérieurs :
-Sur la cour et la faille, les fenêtres sont traitées au cas par cas. Transparentes, translucides, ouvrants à la française, pivotantes pour une meilleur ventilation, suivant les usages.
– Sur rue, une alternance de simples et doubles fenêtres rythment la façade. Volets gravés d’un motif et garde-corps vitrés agrémentent ces ouvertures permettant l’intimité, des vues dilatées par les effets de miroir des volets ou cadrées suivant les envies et la protection solaire.
– Sur l’angle de la faille, l’ensemble des salons profitent d’une fenêtre d’angle en porte à faux sur le boulevard pour cadrer des vues singulières (Porte Dorée, bois de Vincennes). Cette ouverture permet une dilatation de l’espace des appartements et finalement d’être chez soi, tout en étant dans un environnement qui dépasse les limites même de son logement.
Notre proposition cherche ainsi à transformer ce qui peut apparaitre comme des contraintes en opportunités pour définir un projet propre à ce lieu.
Ainsi, des conflits urbains naissent des respirations entre les immeubles ( lumière et ventilation naturelle). De la qualité de l’espace public nait l’échelle du projet dans une continuité urbaine claire. Du rapport avec les immeubles nait un rythme de façade, une matière vibrante,… De l’ensemble de cette histoire nait la qualité des logements.
Aussi, ce projet n’est pas un acte générique, mais bien un acte spécifique en relation avec une histoire, une situation, qu’il faut architecturer… Habiter.