Installation "Lignes de Désirs" . Cité de l'architecture
LieuCité de l'architecture, Paris
CadreExposition DUOS 2024
Description

SITUATION ORIGINELLE
A l’extrémité Est du palais de Chaillot, l’entrée discrète bien que monumentale se révèle être le théâtre tonitruant d’expressions libres de la scène architecturale contemporaine.

Cadavre exquis grand format, superposition et enchevêtrement des idéologies de notre époque, espace totalement orthonormé, explosions de couleurs fulgurantes et sporadique sous la grille noire, plafond sans plafond faisant échos au palais de Tokyo non loin de là, étrange dispositif d’exposition tout sauf neutre en forme de half pipe.

Ici se déchainent l’expression des identités et des idées d’aujourd’hui prenant la forme d’un palimpseste, junkspace pour architectes ponctuellement libérés.

Le lieu ré-imaginé par Freaks architecture, imprégné de l’esprit d’évolution proposé par B+ et Muoto, se révèle être un formidable terrain d’exploration, une invitation à prolonger une réflexion sur les possibilités que peuvent engendrer leur proposition : la grille.

Ou peut-être finalement l’impossibilité ?

Si cette proposition de grille avalant l’espace ne répondais pas au départ à la demande initiale, par son caractère transgressif voir spéctaculaire elle a su s’imposer et perdurer pour redéfinir non seulement la perception de l’espace mais aussi ouvrir l’étendue du domaine d’expression des DUOS à la totalité de l’espace possible.

Elle invite à prolonger l’exercice de réflexion sur l’espace de l’entrée dans sa totalité , et à réflechir sur:

Une situation existante,
Un espace déjà pensé,
Un espace déjà chargé de sens,
Un espace voué à évoluer.

CARROYAGE

Autant de références à explorer pour peut-être acter ( interroger ?) que La Grille, tenue pour archétypale, évoquant le potentiel d’un vide à remplir à priori, évoquant l’esprit de contemporanéité, potentiel en latence prêt à se réaliser, est tout sauf neutre.

Une grille de lecture de l’espace contemporain réduite à sa portion congrue mais finalement aussi polarisée que pourrait l’être les ordres grecques ou romain.

Il est d’ailleurs amusant de constater que cette même grille est utilisée , parmi son infinité d’usages, en archéologie et en cartographie (le carroyage) , se superposant de manière évidente aux proportions antiques, flottant au-dessus. Une analogie possible au rapport Antique / moderne ?
Une fois remplie, déterminée, que subsiste t’il de la grille, de sa capacité à évoquer une architecture pré représentative ?

Si l’on admet qu’elle convoque une architecture pré représentative, n’a-t-elle de force que par son caractère à la fois hyper défini et paradoxalement non fini ?
La grille demande à être remplie mais ne perd -elle pas sa substance qui se voudrait ontologique lorsqu’elle devient le contenant

GRILLE, LIMITE ET POLARITES INVISIBLES

Imprimer la grille dans l’espace, c’est faire le choix d’une dimension, d’une et une seule unité de mesure pour définir un espace : 1 m pour tout mesurer, tout circonscrire, une norme évacuant les nuances d’interprétation, évacuant visuellement toute autre unité, toute autre grille de lecture, c’est un choix qui a la netteté tranchante du oui /non et qui détermine la manière d’appréhender l’espace.
Un espace dépolarisé et uniformisé ? Un espace qui serait égal en tout point?

Le jeu de GIo se joue sur une grille de 19X19 intersections, vide au commencement.
Les joueurs posent chacun à leur tour une pierre sur les intersections de la grille. Il suffit d’entourer totalement un ou plusieurs pions adverses pour les capturer. Le gagnant est celui qui aura constitué le territoire composé d’intersections vides le plus grand.
Derrière des règles d’une simplicité extrême se cache en réalité un jeu d’une grande subtilité basé sur des champs d’influences : chaque pierre ajoutée génère une polarité sur le plateau, complexifiant les interrelations qui coexistent entre toutes les autres.
Mais si chaque pierre polarise l’espace qui l’entoure, qu’en est il de la grille?

Au début d’une partie, lorsque la grille est vide, le premier joueur peut placer la première pierre où il le souhaite. Cette liberté devrait permettre un grand nombre d’ouvertures puisque la grille est composée de 361 intersections.
Pourtant les ouvertures se jouent toujours autour de 9 points stratégiques indiqués d’un point noir sur la grille.

Ces points indiquent ainsi des polarités invisibles préexistantes et inhérentes à la grille. Des polarités qui sont uniquement générées par les limites de la grille et de ses proportions intérieures.

Il en va de même pour l’espace de l’installation.

LIGNES DE DESIRS

Définition : Une ligne de désir est un sentier tracé graduellement par érosion à la suite du passage répété de piétons. La présence de lignes de désir (à travers les parcs ou terrains vagues) signale un aménagement urbain inapproprié des passages existants.

Le sentier créé représente souvent le cheminement le plus court ou le plus commode entre deux points. La largeur et l’ampleur de l’érosion sont des indicateurs de la nature du trafic que le sentier reçoit. Les lignes de désir sont des raccourcis là où les chemins officiels prennent un tracé indirect, sont discontinus ou sont inexistants.
«Ligne de désir» conteste la préséance de la grille, et avec le langage du temps qui passe, fait remonter le fond à la surface, la vérité invisible rendue visible d’un espace toujours polarisé par le désir humain.

« C’est un appel à la réflexion sur l’architecture pré représentative , avant que l’architecture ne devienne un objet de contrôle , beau ou moche peu importe. Est-ce qu’on peut penser à l’architecture comme quelque chose de préexistant ? »

…l’architecture comme quelque chose de préexistant ?
Une sculpture existe-t-elle dans la pierre avant que le sculpteur ne la révèle par la taille ?
Cette question peut poser débat dans le domaine de la sculpture, et c’est sans doute en ceci que l’architecture s’en distingue. Dans le cadre de l’architecture ce qui préexiste c’est la nécessité d’un usage et une situation propice.
Ne peut-on pas considérer la grille par sa fonction normative comme une réduction des ordres antiques à la portion congrue?
Il faudrait la voir comme pré représentative ( ou plutôt ne pas la voir) c’est-à-dire pas encore définissable par des critères Beau / moche, évitant opportunément le jugement de l’œil.
Mais par quel miracle échapperai-t-elle à ce jugement ?
Elle n’est rien de moins qu’une figure géométrique imposée à l’œil par le choix d’un architecte.
D’ailleurs la grille n’est-elle pas in fine l’archétype du contrôle par excellence ?

Un sentiment de volonté de contrôle absolu : n’est-ce pas la première chose qui nous vient lorsque nous découvrons le lieu pour la première fois ?